Lorsque j’étais enfant, j’avais cette passion des vieilles photos.
Souvent, les dimanches comme je m’ennuyais à la maison, je demandais à maman de « sortir les photos » ! Et c’est ainsi que nous passions notre dimanche après-midi toutes les deux à éplucher ces très vieux clichés et à chercher le « Qui est qui ? » . C’était jour de Fête pour moi je ne sais toujours pas pourquoi. .. Aujourd’hui encore, je me surprends toujours à les regarder.
Toutefois, ce que je vois aujourd’hui est bien différent . Je vois ces hommes et ces femmes d’une autre époque, vivant pour la plupart une vie rude et austère mais au rythme de la nature ; je vois des enfants ébouriffés, chaussés de vieilles galoches, je vois des expressions tristes et des peaux tannés ; je vois des maisons simples et rustiques, où rien n’est superflu ; je vois des photos de classes où tout le monde est discipliné , bien aligné ; je vois des retours de guerre, certains ont été décorés, d’autres fusillés pour l’exemple ; je vois des photos de mariage où tout le monde est endimanché, prenant la pose avec fierté et pour l’éternité. Et quelle élégance, j’en suis à chaque fois émerveillée. On n’était pas dans l’opulence, avoir autant de prestance, les deux pieds bien ancrés même dans la boue.
Le noir et blanc a cette élégance d’embellir ce qui avec le temps aurait pu pâlir.
Et puis je me décide à fermer cette boite à clichés souvenirs et à ouvrir les yeux sur ce monde contemporain qui est le mien en couleur.
Je vois de belles maisons confortables ou rien ne manque , des hommes et des femmes pressés par le temps qui, eux, leur manque ; je vois des enfants et des portables, tous deux condamnés ; je vois des victuailles à gogo gaspillées, une inflation galopante, des porte monnaies se vider ; je vois 200 chaines Tv à regarder, des images de guerres sur fond de télé-réalité, je vois des photos de mariage sophistiqués et des divorces annoncés ; je vois des enfants déscolarisés car les parents ont renoncés, des jeans délavés, troués et des vêtements non genrés ….et puis aussi des photos de vacances sous les Tropiques pour oublier.
Oublier que nos vies sont vides de sens, et qu’on passe sa vie à la gagner.
Alors, je me pose et m’interroge. Que s’est-il passé entre la vie en noir et blanc et celle en couleur ?
Pourquoi l’austérité n’a jamais réussi à nous mener à la sérénité ? Pourquoi le sombre ne nous a pas guidés vers la Lumière ?
Avons-nous perdu nos valeurs, nos repères, notre boussole intérieure ? Ce doit être cela, c’est le NORD que nous avons égaré!
Ce fameux bon sens paysan.
Je suis fière de cette appartenance, fière d’être une fille de la Terre, cette Terre qui nous nourrit et nous porte. C’est grâce à elle si je suis encore debout, bien enracinée dans ma vie, malgré les turbulences que j’ai traversées.
Je ne prétends pas que la vie d’avant était plus confortable, loin de là. Mais ce qui me rend profondément triste c’est que la vie ne semble pas plus simple aujourd’hui. Une vie qui oscille entre grisaille et décadence.
C’est sans doute pour cela, que je me plonge régulièrement dans mes clichés noirs et blancs, chroniques d’une vie simple annoncée, pour oublier un monde en obsolescence, programmé en quête de bonheur et de sens, ce fameux Nord que nous avons perdu.
Et puis je me resaisis, et je me dis que touver le bonheur n’est peut-être pas si compliqué.
Se couper de la folie ambiante, éteindre son écran de TV, reprogrammer son GPS intérieur, et surtout lui faire confiance, lui seul connaît le sens, et pourra nous guider.