Cela fera 11 ans en juillet 2024 que tu nous as quittés, un départ initié de longue date, et presque 10 ans d’errance dans les méandres de ta psyché.
Alzeihmer, c’est le verdict qui est tombé, un nom tarabiscoté, issu d’un « Géotrouvetou » de la maladie, Monsieur Alois Alzeihmer.
D’après l’origine émotionnelle des maladies, on parle de plusieurs conflits non résolus (amoureux, familial, professionnel, financier) et qui ont laissé des lésions, des cicatrices au cerveau. Bref, un ressenti d’une vie ratée de A à Z, un ressenti de n’avoir jamais été aimé, alors on fait sauter les plombs de sa vie, pour ne rien voir en face, pour oublier, pour tomber en panne » des sens », et ne plus rien redémarrer.
J’écris tout ceci en tout petit, car le décodage biologique des maladies est interdit dans notre beau pays. Il est vrai que cela pourrait remettre des lumières dans nos consciences en berne et usées, c’est donc beaucoup trop « d’anges heureux « d’en parler.
Tu sais, à part quelques fusibles grillés, et un trousseau de clés mille fois égaré, les plombs n’ont pas encore sauté me concernant, et j’ai encore quelques neurones actifs à te consacrer pour te faire rigoler.
Je ne me souviens plus quand cela a commencé vraiment mais tout ce que je sais, c’est qu’avec Mathilde, on a tellement ri au début.
Quand tu te sentais menacée par le journaliste à la télé qui t’avais insultée,
Quand tu me brandissais une salade de sous le nez, en me demandant : « je fais quoi avec ça ? »
Quand tu nous donnais un paquet de kleenex, en nous disant : » Achetez-vous ce que vous voulez avec ! ».
Dieu qu’on a ri, je te l’avoue aujourd’hui, je sais que tu ne nous en voudras pas … tu aimais tellement rire toi aussi. Je reste tellement convaincue que l’humour est le dernier rempart pour prévenir la maladie, et peut-être même ce qui sauvera un jour l’humanité, allez savoir…
Et puis, un jour, les disciples d’Alzheimer nous ont expliqué : » vous verrez , elle ne vous reconnaitra plus »,et là nos rires, eux aussi, sont passés aux oubliettes.
Mais au fait, qui t’a reconnue toi , la mal-aimée, dans tous les chaos de ta vie ?
Qui t’a reconnue pour le travail que tu as fourni au détriment de ta scolarité ?
Qui t’a reconnue pour l’amour que tu n’as jamais reçu ?
Qui t’a reconnue dans ta détresse après avoir perdu tant de membres de ta famille dont tes deux filles et ton mari?
Personne. Ou si peu. Juste retour des choses après tout.
Oublier pour ne plus penser, ne plus se rappeler, et peut être que cela t’a soulagée de ne plus mettre de nom sur nos visages familiers.
Sans doute as-tu choisi aussi d’effacer toutes les données de tes cartes mémoires, pour ne rien réveiller de tes fantômes du passé, tu sais, ceux qui ont osé s’inviter à la table de ta psyché, sans rien demander.
Et puis un autre jour les disciples d’Alzheimer nous ont déclaré avec cette inélégance, que l’on retrouve souvent chez certaines blouses blanches :
« vous savez bientôt votre mère sera comme une coquille vide »
Têtue, j’ai voulu rencontré cette nouvelle « personnalité », cette fameuse coquille vide. Personne ne nous a présentées, mais je t’ai pourtant reconnue dans cette chambre froide et sans âme. J’ai cru percevoir encore une lueur ou plutôt comme un phare dans tes yeux, au cœur de cette marée noire de ta psyché et puis finalement non, plus rien, ou si peu. Cette masse gluante et sombre, collée à ton plafond, a tout emporté du peu qui restait de ta survie et même les fantômes de ton passé qui s’étaient régalés à la table de ta vie, même ces monstres-là ont été engloutis.
La marée noire avait définitivement gagné son combat sur ta mémoire.
Plus rien n’a survécu, hormis un léger souffle de vie, une respiration difficile qui attendra le moment opportun pour définitivement expirer.
Prisonnière de l’ombre, une étoile est née.
Tu sais, tu n’as pas à rougir de ton parcours de vie. Tu as endossé ton costume d’existence, comme on s’habille chaque matin , avec un automatisme, un réflexe contre la pluie ou le soleil, sans conscience de l’instant, ni du lendemain.
Personne ne t’a appris à livre dans le livre de ta vie et à en comprendre le sens
Aujourd’hui, j’ai juste envie de panser avec quelques mots de douceur les blessures de ton enfance, je ne sais pas trop d’ailleurs ce qui t’est arrivé, et ce n’est sans doute pas un hasard si le » no signal input » s’est activé sur l’écran de ta mémoire.
J’espère simplement que tu as su conserver, dans un « cloud » perché le meilleur diaporama de ta vie, et c’est d’ailleurs cette image qui me vient ici, lorsqu’à la fin et à chaque fois que tu nous voyais avec Mathilde, tu nous faisais ce compliment avec ce sourire qui en disait long sur tes interrogations : » mais comme « elles » sont jolies ».
Alors ma chère Maman, sache que dans cet univers atemporel qui est le tien aujourd’hui, nous aussi, on te trouve sacrément jolie dans cette nouvelle galaxie.
Toi la grande oubliée de la vie, sache que nous te reconnaissons pour les valeurs que tu nous as transmises, et nous te devons , en toute humilité, le fait d’être vivant aujourd’hui sur cette Terre, dans ce miracle dans lequel nous baignons chaque jour.
Car il s’en est fallu de peu pour qu’il en soit autrement finalement, et que je ne sois pas là à écrire ces lignes, et rien que pour cela , Merci.
Alors, avant que les lumières ne s’éteignent pour chacun d’entre nous, et que l’on se donne rendez-vous dans le monde d’après , j’avais envie de te rendre cet hommage car il n’est jamais trop tard pour honorer ceux que l’on aime. Loin de moi cette idée funeste d’écrire une ode à la tristesse et à l’anesthésie concernant ta vie, mais bel et bien un hymne à la liesse et à l’esprit.
Et que ta joie demeure inoubliable !
A ma mère Lucienne,